L’antibiorésistance est un enjeu mondial de santé. Pour une utilisation raisonnée des antibiotiques en élevage, quelques rappels des « bons gestes » à mettre en place dans les exploitations en lait AOP.

Illustrations au travers de témoignages d’éleveurs qui développent des pratiques alternatives (homéopathie, huiles essentielles, acupuncture…) pour limiter le recours aux antibiotiques.

« Partir d’une situation saine du troupeau nous a facilité le passage à l’homéopathie »

Isabelle et Xavier Lombardot sont éleveurs à Aubonne (Doubs) avec un troupeau de 40 vaches montbéliardes.

« Nous n’utilisons plus aucun traitement antibiotique au tarissement depuis 4 ans, seulement de l’homéopathie », explique Isabelle Lombardot, qui est convaincue de cette méthode. Elle n’hésite pas à se replonger régulièrement dans des livres spécialisés, à échanger avec d’autres éleveurs et à se former avec le GEDA (Groupe d’étude et de Développement Agricole). Au début, le projet a surtout intéressé un groupe d’agricultrices qui voulaient utiliser l’homéopathie pour une médication familiale. Une pratique qu’elles ont souhaité étendre à l’élevage. Isabelle Lombardot a convaincu son mari, tout en sachant qu’il faut « progresser doucement et ne pas tout révolutionner du jour au lendemain ».

« Quand je détecte une mammite, j’utilise conjointement de l’homéopathie, des massages à base d’huiles essentielles et un plâtrage d’argile, explique Isabelle Lombardot. Ce traitement est efficace pour 3 vaches sur 4. Annuellement, nous avons seulement 3 cas de mammites traités aux antibiotiques. Mais il faut reconnaître que nous sommes partis d’une situation saine du troupeau ce qui a facilité le passage à l’homéopathie ».

L’éleveuse pense que plusieurs critères contribuent à la bonne santé du troupeau : l’ambiance des bâtiments d’élevage, des logettes bien paillées (l’exploitation utilise 38 tonnes de paille par an) et une alimentation qui valorise le fourrage, tout en essayant de diminuer les compléments (1 300 kg/VL/an de compléments pour une moyenne économique de 7 500 litres de lait/VL/an). Elle est particulièrement rigoureuse sur la propreté de la mamelle. Avant de traire, les trayons sont nettoyés avec de la paille de bois. Après la traite, elle applique un produit de trempage surgras pour protéger la mamelle jusqu’à la prochaine traite et qui permet d’enlever facilement les résidus collés (paille, etc.). La traite se déroule dans le calme, (en musique même !) et l’installation est équipée de décrochages automatiques des griffes, ce qui permet aux vaches d’être toujours traites de la même façon.

« La recherche de traitements alternatifs est une activité prenante mais passionnante », admet Isabelle Lombardot. Et qui ouvre plusieurs portes.
Ainsi pour les diarrhées des veaux, argile et tisane de foin ont permis de diminuer les recours systématiques aux médicaments. Afin d’aller plus loin dans sa démarche, Isabelle Lombardot aimerait trouver une solution pour traiter les panaris (sans antibiotiques) et réfléchir à un traitement contre les parasites à base de plantes.

Isabelle et Xavier Lombardot : « Il est important de travailler sur la bonne santé de nos animaux et la réduction des antibiotiques car notre but est de faire un lait de qualité tout en respectant l’environnement. » (photo © CIGC/Petit)

« Bonne santé du troupeau et qualité du lait vont de pair »

Jean-François et Édith Moucquod, et leur fils Maxime, sont éleveurs à Villette-les-Dole (Jura) sur une exploitation de polyculture élevage, avec 45 ha de cultures et 35 vaches laitières Montbéliardes en lait à Comté (moyenne économique de 5 500 litres par vache et par an). L’exploitation est en cours de conversion à l’agriculture biologique avec un vrai souci de limiter les traitements antibiotiques.

Depuis peu, la famille Moucquod a recours à l’homéopathie notamment pour traiter les mammites. Une vache qui développe une mammite est marquée d’un trait de couleur verte sur le dos et sur la patte, ce qui permet de la repérer facilement dans le troupeau et lors de la traite. Un tableau récapitule les animaux dont le lait doit être écarté. « On note précisément la date où l’on tarit une vache (trait rouge sur la tête et bracelet rouge à la patte), avec le traitement utilisé pour bien respecter le délai avant de pouvoir la traire à nouveau. Et pour être sûr, on rajoute un délai de 2 ou 3 jours ».
L’exploitation, qui a toujours eu un taux très bas de cellules* se retrouve confrontée cette année, comme de nombreux élevages, à une hausse des cellules, signe de foyer infectieux et donc de mammites. Les éleveurs pensent que le climat humide et le manque de soleil ont pu jouer un rôle sur l’environnement et la santé des animaux, y compris dans la qualité de l’alimentation produite sur la ferme.

*Cellules (ou globules blancs) : un quartier sain ne contient pas de microbes mais 50 000 à 70 000 globules blancs leucocytes qui jouent le rôle de sentinelles. Les quartiers ayant 100 000 à 300 000 cellules peuvent être infectés par des bactéries inoffensives. Au-delà de ce seuil, il faut être vigilant.

Depuis peu, les éleveurs ont recours à l’homéopathie notamment pour traiter les mammites des vaches. (photo © CIGC/Petit)

La famille Moucquod s’impose des règles

Pour réduire l’usage des antibiotiques, la famille Moucquod, éleveurs dans le Jura (lire ci-dessus) s’appuie sur quelques règles visant à maintenir une très bonne santé du troupeau et donc une qualité de lait :
• Bien rincer les griffes après la traite des vaches à problèmes.
• Passer les consignes formellement en cas de remplacement.
• En cas d’erreur de traite (traite d’une vache mammiteuse) écarter le lait à la fosse, rincer la trayeuse, rincer le tank. « Hors de question de livrer un lait comme ça, sinon c’est toute la cuve de fabrication de fromage qui est fichue ! »
• Réformer les vaches qui ont eu plus de 2 mammites.
• Noter tous les événements sur un cahier et sur 3 tableaux dans la laiterie : un tableau du contrôle laitier qui récapitule les lactations de toutes les vaches, un tableau rotatif qui permet de voir d’un coup d’oeil les vaches à tarir et à inséminer, un tableau avec tous les veaux avec leur date de naissance, leur numéro et le numéro de la mère.
• Une alimentation variée et favorable pour la santé : foin-regain avec des prairies à plusieurs espèces et mélange céréales/protéagineux (pois, triticale, orge, seigle, avoine) pour une ration équilibrée en minéraux. En hiver, les vaches recevaient un complément de tourteau de colza (en moyenne 500 g/VL par jour) remplacé aujourd’hui par des graines de féveroles et de soja aplaties.

Pour Maxime Moucquod, « prendre le temps d’observer permet d’intervenir plus tôt et d’éviter le recours systématique aux antibiotiques pour les diarrhées des veaux par exemple. C’est l’atout d’un petit troupeau ! » (photo CIGC/Petit)

12 bonnes pratiques pour éviter les problèmes

• Identifier systématiquement et marquer visuellement tous les animaux traités, y compris les animaux taris
• Enregistrer tous les traitements (en lactation et au tarissement) dans le cahier sanitaire et conserver les ordonnances
• Bien connaître les exigences d’utilisation des médicaments employés, et se conformer à la prescription du vétérinaire
• Bien transmettre les consignes en cas de changement de trayeur
• Écarter le lait de tous les quartiers pendant l’intégralité du délai d’attente
• Respecter la période colostrale (pas de livraison avant le 7e jour suivant le vêlage)
• Être vigilant sur les animaux taris : bien vérifier le délai d’attente à appliquer en cas de durée de tarissement courte ou de vêlage avant terme
• Prendre aussi en compte les traitements autres qu’intra‐mammaires (oblets, injections, sprays, pommades, etc.)
• Ne pas utiliser de bidons de dérivation trop petits
• Ne pas laisser du lait résiduel dans la griffe. Bien la rincer après la traite d’un animal traité
• En cas de doute, prévenir la fromagerie avant la collecte
• En cas de doute, afficher sur le tank que le lait ne doit pas être collecté

• RAPPEL aux fromageries.- Le lait de tous les producteurs doit être prélevé tous les jours dans les conditions du PLQ (flacon à usage unique, code-barres). Les échantillons doivent être tous les jours disponibles à la fromagerie pour y faire des recherches au cas où le lait de mélange testé tous les jours par le fromager montrerait la présence d’antibiotiques.

Un Plan national mammite

L’interprofession laitière a mis en place un Plan national mammite* et travaille actuellement sur la question de l’utilisation maîtrisée des antibiotiques pour les infections mammaires. Prévenir et réduire les mammites en élevages laitiers bovins restent deux priorités pour la filière laitière.

*La mammite est une infection de la mamelle par des bactéries qui pénètrent par le canal du trayon.

Dominique Magadur, vétérinaire : « Une responsabilité commune »

• L’antibiorésistance est-elle un enjeu en élevage ?
Les antibiotiques prescrits chez l’homme et chez l’animal sont susceptibles d’entraîner l’apparition de résistances bactériennes. Devant ce danger de plus en plus réel, éleveurs et vétérinaires sont attentifs. Les antibiotiques de génération récente sont à réserver quand les autres ont échoué ou que l’antibiogramme montre que la bactérie est résistante à d’autres antibiotiques.

• Comment utiliser au mieux les antibiotiques ?
En intervenant de façon précoce avec des posologies adaptées et pendant la durée préconisée. C’est une responsabilité commune. Les éleveurs ont le droit et le devoir d’apporter des soins à leurs animaux. Ils peuvent le faire seuls à condition que soit réalisé un bilan annuel avec le vétérinaire, qui établit un protocole. Quand on connaît un élevage, avec l’habitude, on sait quels antibiotiques seront efficaces.
Si une baisse d’efficacité est constatée, un antibiogramme peut être réalisé afin de réorienter l’éleveur. Lorsque l’éleveur vient chercher des médicaments, l’ordonnance mentionne systématiquement les délais d’attente (délai avant de livrer le lait de l’animal) pour qu’il n’y ait pas de résidus d’antibiotiques dans le lait. La santé des mamelles est un point important en élevage laitier.

• Comment la préserver ?
Un des principaux soins à apporter en élevage laitier se situe au niveau de l’hygiène pendant la traite. Le trempage des trayons après la traite, avec un produit adapté, est un moyen de prévention pour empêcher une infection avant que le sphincter ne se referme. En cas de mammites, il peut être nécessaire de faire une recherche bactériologique ponctuelle afin de savoir si le germe vient de l’environnement ou s’il s’agit d’un germe de réservoir (de vache à vache) pour cibler non seulement le traitement mais aussi la prévention.
Il faut réunir tous les facteurs pour essayer d’agir préventivement. Dans certains cas, en fonction des facteurs de risque et des agents microbiens mis en évidence, un recours à la vaccination est possible.

• Comment utiliser les méthodes alternatives comme l’homéopathie ?
Je préconise également ces méthodes, mais elles doivent être raisonnées en fonction de la gravité présumée et de l’agressivité de la mammite. L’homéopathie, la phytothérapie peuvent aider à traiter des mammites bénignes, sans température et sans perte d’appétit. Ces méthodes peuvent aussi être utilisées en fin de traitement pour favoriser la cicatrisation de la mamelle, sans avoir à prolonger le délai d’attente. Ainsi, on peut passer ce cap sans avoir recours à des antibiotiques et en augmentant les défenses de la mamelle.
Dans tous les cas le meilleur raisonnement doit être celui qui favorise la prévention : bonne hygiène de vie, confort et adaptation des bâtiments, qualité de l’alimentation et de l’abreuvement, bonnes pratiques dans les techniques d’élevage et de traite, et optimisation des défenses naturelles de l’organisme des animaux.

• Antibiotiques pour les animaux : réduire de 25 % en 5 ans.- Le plan Ecoantibio (2012-2017) du ministère de l’Agriculture prévoit une réduction de 25 % en 5 ans de l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire, avec un effort particulier de réduction des antibiotiques d’importance critique pour la santé humaine (antibiotiques de dernière génération). L’objectif est de défendre le concept « d’une seule santé » en médecine vétérinaire et médecine humaine dans le cadre des antibiorésistances.

D’après Dominique Magadur, vétérinaire, le meilleur raisonnement est toujours celui qui favorise la prévention. (photo © CIGC/Petit)
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