Bien exploiter le potentiel génétique des vaches pour produire du lait de qualité, voilà la stratégie qu’ont adoptée les éleveurs présentés dans ce dossier. Ils sont en filière Comté et leurs expériences n’ont pas valeur de modèle mais se raisonnent dans un contexte précis : types de prairies, sols, équipements matériels et bâtiments, sans oublier l’effet « climat » qui d’une année à l’autre a un fort impact sur la qualité des fourrages.

Des éléments de réflexion complétés par le regard des techniciens de Conseil élevage et de l’Organisme de Sélection de la race Montbéliarde et qui s’appuie sur une étude statistique menée durant l’hiver 2013-2014 par les filières AOP.

« La génétique est un outil qui doit permettre de mieux valoriser les fourrages »

Nicolas Gaudillière, ingénieur à Conseil Élevage 25-90 apporte un éclairage sur ce dossier.

Les techniciens qui interviennent dans les élevages font souvent ce constat : les éleveurs qui valorisent le mieux leurs fourrages, en obtenant un niveau de production correct avec une consommation de concentré modeste, ont en général un niveau génétique global élevé. Même dans nos systèmes AOP, économes et herbagers par nature, la génétique est donc un outil intéressant. Elle permet de valoriser toujours plus efficacement les ressources disponibles dans des conditions d’élevage qui peuvent être variées.

L’ISU accorde un poids de plus en plus important aux caractères fonctionnels tels que les aplombs ou la fertilité. Cette orientation contribue au maintien des avantages de la race Montbéliarde, particulièrement adaptée aux systèmes herbagers où le pâturage prend une place fondamentale. La pleine expression du potentiel laitier n’est pas un objectif dans nos systèmes AOP. La race Montbéliarde s’adapte à des stratégies économes sans que nous constations une dégradation significative des résultats de reproduction. Même dans les troupeaux à haut potentiel laitier, c’est-à-dire avec des index lait élevés, une distribution modeste de concentré n’est pas associée à une augmentation des troubles de la reproduction.

Si la génétique est un outil précieux, elle n’explique pas tous les écarts de performances entre les élevages. En dehors des facteurs pédoclimatiques, sur lesquels les éleveurs n’ont aucune prise, c’est bien les pratiques d’élevage qui expliquent les écarts. Nos systèmes sont basés sur la valorisation de l’herbe. La gestion du pâturage est donc une priorité dans laquelle il faut investir : d’abord en y passant du temps, puis en aménageant correctement le parcellaire de pâturage (chemins, réseau d’eau, clôtures…). La gestion quotidienne du pâturage nécessite une forte technicité. Les groupes d’échanges sur ce thème peuvent permettre aux éleveurs de progresser et de capitaliser leurs expériences.

La ration de base hivernale est bien sûr un autre facteur important qui influence les performances technico-économiques des élevages. Il faut à la fois raisonner la chaîne de récolte pour préserver au mieux la qualité de l’herbe et une bonne adéquation entre les besoins du troupeau et le potentiel de production fourragère de l’exploitation. On avance souvent le repère de 3 tonnes de matière sèche récoltées par UGB. On sait qu’en dessous de ce seuil le déficit chronique en fourrage a des conséquences sur les consommations de concentré.

Etude URFAC : choisir des taureaux qui apportent un plus aux AOP

Les filières AOP souhaitent que leurs producteurs de lait puissent distinguer parmi les taureaux proposés par les organismes de sélection, ceux qui, par leurs aptitudes génétiques, vont permettre de mieux valoriser le terroir et apporter un plus « AOP ». L’URFAC a sollicité le CTFC afin qu’il réalise une étude statistique dont l’objectif est d’évaluer le lien entre le bilan génétique des troupeaux de la zone AOP et les résultats technico-économiques des exploitations*. Un tiers des élevages de la filière AOP a été étudié, en partenariat avec l’Organisme de Sélection Montbéliarde et Conseil élevage.
Cette étude va se poursuivre par la recherche du lien entre les pratiques des éleveurs et la quantité de concentré distribuée. Ces résultats seront exploités à l’automne 2014.

* Le caractère global de l’efficience AOP est mesuré à l’aide de 3 critères : le coût du concentré au litre de lait, le lait par vache et le taux de renouvellement.

Témoignage 1 : « Une combinaison de facteurs a permis d’optimiser la production par vache. »

Patrice Glasson, éleveur à Damprichard (Doubs) recherche l’autonomie alimentaire de son troupeau par l’herbe.

D’une famille d’éleveurs qui a toujours été passionnée par la génétique, lui-même ancien conseiller en élevage chargé des inséminations artificielles des bovins laitiers, il sait que la génétique ne fait pas tout. « Arriver à près de 8 000 kg de lait (par vache et par an, chiffre contrôle laitier) s’obtient par une combinaison de facteurs :
• la génétique du troupeau
• la valeur alimentaire de l’herbe grâce à l’amélioration des sols et de la flore des prairies, notamment dans le cadre de la lutte contre les campagnols
• la mise aux normes des bâtiments d’élevage, en passant d’un système entravé à une stabulation libre paillée
• une meilleure valorisation des fumiers compostés et lisiers épandus sur les prairies
• très peu d’azote minéral (20 unités/ha) et un amendement calcique pour favoriser les trèfles et les légumineuses riches en protéines »

Produire un lait de qualité à un coût optimum, nécessite en effet de s’intéresser à tous les aspects de l’élevage, et en priorité, au lait produit uniquement par l’herbe, soit pour l’élevage de Patrice Glasson, 20 kg de valorisation de la ration de base en été et 12 à 16 kg en hiver selon la qualité des fourrages. Le pâturage se fait en tournant sur 8 parcelles et l’éleveur mesure la hauteur de l’herbe pour gérer les quantités d’herbe disponibles. En hiver, la ration est composée de foin et regain à 50-50. En complément, il distribue du concentré fermier fait d’un mélange d’orge, de maïs, d’un peu de pulpe de betterave déshydratée et de tourteaux. Sur une parcelle de 3 ha, il a semé un mélange de luzerne, dactyle, fétuque et trèfle qui a permis d’améliorer la ration de base et la qualité du lait (taux protéique). « Nous sommes aussi tributaires de la météo. Deux printemps humides consécutifs, cela aura des conséquences sur les stocks de fourrages. Par contre, en été, il existe souvent un manque d’herbe au pâturage. J’essaie de faucher une parcelle assez tôt au printemps pour avoir plus de surface en pâturage l’été ».

Formation sur l’alimentation

L’agriculteur a participé à deux formations : “Valorisation de la ration de base” (Conseil Élevage 25-90) et “Séchage des fourrages par l’énergie solaire”. « J’aime confronter mes idées avec d’autres éleveurs, apprendre de nouvelles techniques, visiter des essais fourragers… ».

De retour chez lui, il ne révolutionne pas son élevage. « La formation m’intéresse mais je ne suis pas dans l’excès, par exemple ni trop, ni trop peu de concentré. Après la formation « Valorisation de la ration de base », je suis passé de 1 500 à 1 300 kg de concentré par vache et par an, tout en augmentant la production laitière, ce qui est dû à plusieurs critères, comme je vous l’ai expliqué. Pour le séchage solaire, je ne suis pas encore décidé. L’investissement est conséquent, l’objectif d’une telle installation est de faire baisser la quantité de concentré donnée par vache grâce à un fourrage de meilleure qualité. En contrepartie, il faut une amélioration de la production laitière». Le foin est pour l’instant séché avec un ventilateur.
Au niveau des choix de taureaux pour les accouplements, Patrice Glasson fait appel aux conseils de l’inséminateur et s’appuie également sur l’expérience de son père, qui connaît toutes les souches génétiques intéressantes à conserver dans le troupeau. « Je me disais parfois : attention, tes vaches ont un bon niveau, elles produisent trop de lait alors que ton objectif c’est l’autonomie par l’herbe ! Finalement, avec l’amélioration de la ration de base, j’arrive à valoriser le potentiel génétique de mon troupeau ».

> Repères
• Exploitation individuelle
• 35 vaches laitières
• 60 ha de prairies
• 240 000 litres de lait par an transformés en Comté à la Fromagerie de Charquemont – Les Monts de Joux
• 7 644 kg de lait par vache et par an à 39 TB (taux butyreux) et 33,2 TP (taux protéique)
• 1300 kg de concentré par vache et par an
• Coût de concentré : 57 euros/ 1 000 litres
• ISU* : 125
• élevage porcin (70 places)

*ISU : L’Index de Synthèse Unique est un index de valeur génétique. Pour les bovins laitiers, les critères sont : la quantité de lait, la matière protéique du lait, la longévité de l’animal, sa capacité de reproduction, les critères morphologiques (aplombs…) la santé de la mamelle, la vitesse de traite…

Pascal Glasson (© photo CIGC/Petit)

Témoignage 2 : « Pas trop de concentré, de la génétique et du bon foin »

Le troupeau de Jacques Peseux à Etray (Doubs) fait partie des meilleurs élevages de la race Montbéliarde. Il est classé 33e au palmarès ISU* 2013 reflétant le potentiel économique des animaux. L’éleveur a choisi de consacrer toute la surface de l’exploitation à la culture de l’herbe.
Il a toujours fait confiance aux techniciens dans le choix des taureaux et fait pratiquer des transplantations embryonnaires sur ses meilleures vaches (une tous les 3-4 ans) depuis 20 ans. Pendant longtemps, la génétique du troupeau a été axée sur le lait et les mamelles mais depuis 4-5 ans, l’éleveur fait très attention au taux protéique (TP). « C’était mon point faible, il me manquait 1 g de TP par litre par rapport à la moyenne des élevages du secteur. Il était important d’améliorer ce critère car le paiement du lait se fait à la qualité. Quand on a un bon potentiel laitier génétiquement, l’apport de concentré doit se raisonner. Le cahier des charges du Comté fixe le maximum à 1 800 kg de concentré par vache et par an. Je suis en dessous, entre 1 300 kg et 1 500 kg par an ».
L’éleveur a réorienté ses choix vers une meilleure valorisation de l’herbe. Après avoir perdu 4 ha de terrain pour la construction d’un lotissement, il décide d’arrêter la culture de céréales et de consacrer les 57 ha restants « à faire du bon fourrage ».
Il est adhérent de DESIA 25, usine de déshydratation de fourrages à Pontarlier, et a engagé cette année 5 ha d’herbe en 2 coupes qui lui seront rendus sous forme de bouchons d’herbe riche en protéines (ils remplaceront une partie du concentré acheté*). La première coupe sur cette parcelle s’est faite tôt en saison, le 10 mai. Cette fauche précoce permettra une repousse rapide de l’herbe pour un pâturage de qualité au mois de juin, période où l’exploitation est souvent confrontée à un manque d’herbe sur les terrains les plus séchants.
« Grâce à ce complément d’herbe déshydratée, je vais pouvoir diminuer les achats de concentré et en distribuer moins en été, puisque j’aurai pallié le trou d’herbe », espère l’éleveur. Cette stratégie fait partie d’un raisonnement global mis en place depuis plusieurs années sur l’exploitation : ne pas apporter trop de concentré acheté, compter sur l’apport de la génétique et réussir à faire du bon foin de séchage pour l’hiver.

*Les bouchons d’herbe déshydratée sont bien comptabilisés comme étant du concentré lors des contrôles AOP.

> Repères
• Exploitation individuelle
• 33 vaches laitières
• 57 ha de prairies, plus 5 ha à façon
• 223 000 litres de lait par an transformés en Comté à la fruitière des Premiers sapins à Epenoy.
• 8 216 kg de lait à 38,5 TB et 33 TP
• 1 300 à 1 500 kg de concentré par vache et par an
• Coût de concentré : 61 euros/1 000 litres
• ISU* : 128

Jacques Peseux (© photo CIGC/Petit)
Actualité suivante

Antibiotiques : moins et mieux